Sommet de Sotchi : Vladimir Poutine vers la conquête de l’Afrique

Co-présidé par Vladimir Poutine et Abdel Fattah al-Sissi, le tout premier sommet Russie-Afrique s’ouvre ce mercredi 23 octobre à Sotchi. Cette rencontre politique, lors de laquelle sont attendus 47 dirigeants africains, sera doublée d’un Forum économique au cours duquel contrats et partenariats devraient être annoncés. Le but : parachever le retour de la Russie sur le continent

A la veille du sommet, dans un entretien accordé à l’agence russe TASS et diffusé le 21 octobre, le président russe Vladimir Poutine a déclaré que Moscou était favorable à une concurrence civilisée dans la coopération avec l’Afrique, en faisant référence à la Chine et aux pays occidentaux. Cependant, selon Poutine, certains pays occidentaux sont allés dans l’autre sens, en pratiquant l’intimidation et le chantage envers les pays souverains du continent africain.

«Nous prenons bien sûr en compte ces réalités, nous tirons les conclusions qui s’imposent et nous sommes  prêts non à un repartage des richesses du continent, mais à une concurrence pour la coopération avec l’Afrique», a déclaré le maître du Kremlin russe dans son entretien à TASS. «L’essentiel est qu’elle [la concurrence] soit civilisée, qu’elle se développe dans le cadre juridique».

Par ailleurs, Vladimir Poutine a souligné : «Un certain nombre de pays occidentaux ont recours aux pressions, à l’intimidation et au chantage envers les gouvernements de pays africains souverains. En utilisant de telles méthodes, ils [certains pays occidentaux] tentent de regagner l’influence et la position dominante perdues dans leurs anciennes colonies. Ils cherchent − déjà sous une “nouvelle enveloppe” − à générer d’énormes profits, à exploiter le continent sans se soucier de ses habitants, des risques environnementaux et autres ». Vladimir Poutine a également fait allusion au fait que les pays occidentaux voulaient freiner le rapprochement entre la Russie et l’Afrique «pour que personne ne les empêche de mener une telle politique».

Selon lui, non seulement les pays d’Europe occidentale, les États-Unis et la Chine sont intéressés à développer leurs relations avec les pays africains, mais également l’Inde, la Turquie, les États du Golfe, le Japon, la Corée du Sud, Israël et le Brésil.

La Russie et les pays africains défendront ensemble des intérêts économiques communs, a ajouté Vladimir Poutine dans son interview. Il a notamment proposé de réduire la part du dollar et de passer à d’autres monnaies.

«Nous sommes en train de préparer et de réaliser des projets d’investissements avec des participations russes qui se comptent en milliards de dollars», a-t-il ajouté. «Les habitants n’ont pas besoin de la guerre sur le continent africain entre les grandes puissances, a déclaré le président russe. Au contraire, les Africains sont intéressés à lutter en commun contre le terrorisme, la criminalité, le trafic de drogue, les migrations incontrôlées et la pauvreté.»

Vladimir Poutine a souligné que la Russie était prête à mener un tel travail, que l’agenda «africain» de Moscou était tourné vers l’avenir et n’acceptait pas les «jeux géopolitiques». «Je suis persuadé que le sommet sera une réussite car nous avons réuni toutes les conditions préalables nécessaires», a souligné Vladimir Poutine.

Difficile pour les autorités russes de le dire comme ça, mais la principale ambition du premier sommet Russie-Afrique est, sur le plan politique comme dans le domaine économique, de rattraper le temps perdu. D’autres grandes puissances mondiales ont, depuis longtemps, formalisé leurs partenariats avec le continent et, pour ne parler que d’elle, la Chine a déjà derrière elle sept éditions de son Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), qui se solde tous les trois ans par l’annonce de milliards de dollars, que ce soit sous forme d’aide, de prêts ou de marchés octroyés à des entreprises chinoises.

Moscou, qui affirme depuis quelques années avoir refait de l’Afrique une priorité de sa politique étrangère, ne pouvait plus se permettre de rester à la traîne et le sommet de Sotchi, avec son parterre annoncé de chefs d’État et de gouvernement venus de tout le continent, symbolisera aux yeux du monde le retour russe dans le jeu.

Aucune exigence « politique »

À un peu plus de 24 heures de l’ouverture de l’événement, les organisateurs annoncent la venue de 43 chefs d’État et de gouvernement africains (dont une vingtaine de chefs d’État) et un total de 7 000 visiteurs, tous accueillis dans la station balnéaire des bords de la Mer noire, qui bénéficie de nombreuses infrastructures quasi-neuves depuis les Jeux olympiques d’hiver de 2014. Aux côtés de Vladimir Poutine, c’est l’Égyptien Abdel Fattah al-Sissi qui co-présidera le sommet, en sa qualité de président en exercice de l’Union africaine. Tous deux auront sans doute à cœur de faire une place à la tribune au Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, tout juste auréolé de son prix Nobel de la Paix et dont la présence à Sotchi est annoncée.

    Une attitude plus respectueuse, à des années lumières des pratiques jugées quasi coloniales de certaines puissances occidentale

Dans une longue interview publiée ce lundi matin par l’agence de presse russe Tass, Vladimir Poutine a donné le ton de la rencontre. Les concurrents qui souhaitent nouer des accords privilégiés avec l’Afrique, y reconnaît-il, sont nombreux : Europe, États-Unis, Chine, Inde, Turquie, pays du Golfe, Corée, Israël, Brésil… Mais la Russie a des atouts à faire valoir. Sa proximité historique avec certains pays du continent, d’abord, qui remonte souvent à l’époque soviétique. Son attitude, ensuite, présentée par le chef du Kremlin comme plus respectueuse, à des années lumières des pratiques jugées quasi coloniales de certaines puissances occidentales qui, assure-t-il, « dépassent parfois les bornes de la décence. » Dénonçant « la pression », « l’intimidation » et le « chantage » auxquels recourent, selon lui, certains concurrents, le président russe met en avant l’aide et l’assistance de son pays qui, elle, ne s’accompagnerait d’aucune exigence « politique ou autre ».

Plus prosaïquement, Moscou invite ses partenaires africains à venir au Forum économique avec des projets dont la faisabilité sera discuté lors de ces deux journées. Et promet des investissements qui se compteront « en milliards de dollars ». Des contrats et des partenariats devraient être annoncés à Sotchi dans les secteurs de compétence traditionnels des industriels russes : matières premières, énergie, infrastructures. Et sécurité, naturellement. Une trentaine d’États africains ont déjà signé des accords de coopération militaire ou technique avec les Russes – qui affirment avoir formé plus de 2 500 militaires africains ces cinq dernières années – et la liste devrait s’allonger d’ici à la fin de semaine.

 Les échanges commerciaux de la Russie avec le continent représentent deux fois moins que pour la France et dix fois moins que pour la Chine

Il devrait aussi être question de dettes publiques : Moscou a déjà annulé l’ardoise de Madagascar, du Mozambique et de la Tanzanie en signant des accords « dette en échange du développement », et Vladimir Poutine a annoncé à Tass qu’il souhaitait faire de même avec l’Éthiopie.

Les annonces ne devraient donc pas manquer à Sotchi et ce d’autant plus que, encore une fois, la Russie part de très loin. Ses échanges commerciaux avec le continent ne représentent, à l’heure actuelle, que 20 milliards de dollars par an, soit deux fois moins que pour la France et dix fois moins que pour la Chine. Lors du dernier FOCAC, en 2018, Pékin a encore annoncé 60 milliards de dollars destinés au développement de l’Afrique. Malgré la bonne volonté affichée, Moscou risque d’avoir du mal à suivre.

Analyse, Moussa Nikiema pour bonjourburkina.net

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