Piratage des œuvres de l’esprit : nécessité d’une véritable synergie d’actions au sein de l’espace UEMOA

Le phénomène le plus récurrent, grandissant et périlleux de l’activité artistique est la piraterie qui se conçoit, en droit d’auteur, comme une reproduction et une exploitation illégales à grande échelle d’œuvres artistiques protégées. Malgré les différentes législations en matière de droit d’auteur et de droits voisins qui condamnent  les actes de piraterie, malgré les multiples sensibilisations et luttes sévères engagées par les acteurs impliqués, la pratique ne cesse de ruiner les artistes et l’économie des pays.

Une création est un ensemble d’investissements tant personnel de l’artiste lui-même que financier du producteur ou de l’éditeur. Le succès qu’elle est appelée à rencontrer fait d’elle, l’objet de convoitise « d’esprits mafieux » du « marché noir  du  show business. » Tant d’investissements et d’espoirs s’effondrent ainsi car les pertes se chiffrent à des milliards de francs. En Afrique de l’Ouest, le cas du Mali est plus qu’inquiétant. En effet, selon M’Baye Boubacar DIARRA, éditeur de musique et producteur de phonogrammes, l’Etat malien perd environ 500 milliards de FCFA par an, du fait de la piraterie. De même, le Burkina Faso n’en est pas moins épargné selon l’ancien Directeur général du Bureau burkinabè du Droit d’Auteur (BBDA), Balamine OUATTARA : « La piraterie, véritable « sida » de la culture fait perdre à l’industrie culturelle […] plus de 9 milliards de francs CFA, plus de 1 milliard en terme de droit d’auteur et plus de 6 milliards au détriment des caisses de l’Etat, pour l’année 2006-2007.» 

Les pirates jouent sur le faible pouvoir d’achat des consommateurs en leur cédant  à vil prix les produits qu’ils écoulent à des millions d’exemplaires au détriment des artistes, des producteurs et des distributeurs grossistes.   Le pire, aujourd’hui, est l’émergence d’une autre forme de piraterie qui fait ravage : la piraterie industrielle qui consiste en la fabrication d’une autre matrice à partir de la maquette d’une œuvre avant sa reproduction en grande quantité. Le développement des technologies de l’information et de la communication en est la principale cause avec également la montée en puissance de la cybercriminalité. Les filières les plus exposées à la pratique sont la musique et le cinéma. Combien de films ou de musiques numériques sont téléchargeables gratuitement à partir d’Internet ?  De même, les téléphones portables munis d’une camera souvent sophistiquée servent parfois à filmer illégalement  soit des concerts-live entiers d’artistes de renom ou des films au palmarès prometteur aux fins de reproduction illégale.  Les marchés sont ainsi inondés de supports illégaux, toute chose qui est de nature à briser des carrières d’artistes et à constituer un frein au développement culturel d’un pays. Youssou SOUMARE,  dans  L’industrie musicale au Sénégal[1] a souligné en effet que : «Le piratage met en danger la création des œuvres intellectuelles ainsi que le développement culturel, social et économique du continent. Il porte un grave préjudice aux intérêts des auteurs, éditeurs et aux titulaires de droits voisins. Enfin, le piratage entrave sérieusement la promotion des cultures nationales. »

Les pays membres de l’UEMOA, en particulier, sont très touchés par ce fléau transfrontalier parce qu’ils disposent de très peu de moyens pour le combattre De l’avis de bien de personnes, la lutte contre le piratage des œuvres artistiques et littéraires reste assez difficile, voire impossible car il s’agit d’un « ennemi » redoutable et fortement enraciné dans le système économique mondial.  Certes, des actions sont engagées par les Etats et même par certaines organisations internationales à l’image de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).

Toutefois, à l’heure où il est question de mutualiser les politiques culturelles pour tendre vers une politique culturelle communautaire dans l’espace UEMOA, il est urgent de créer et de rendre fonctionnelles en les dotant de moyens conséquents, des structures autonomes de lutte contre la piraterie. En la matière, la tradition dans de nombreux pays est d’inclure cette lutte dans les missions des organismes de gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins. Or, les enregistrements, les recouvrements et les répartitions sont déjà très énormes comme tâches. Quelques pays, à l’instar du Burkina Faso et du Bénin, disposent déjà de telles structures : le Comité national de Lutte contre la Piraterie des Œuvres   littéraires et artistiques (CNLPOLA) pour le Burkina Faso et la Commission nationale de Lutte contre la Piraterie des œuvres littéraires et artistiques (CNLP) pour le Bénin. Mais, ces structures relèvent directement des Bureaux du droit d’auteur de ces Etats. Cela peut entacher leur fonctionnement, leur efficacité et même la visibilité de leurs actions. Nous avons par exemple en mémoire que le CNLPOLA est à peine fonctionnelle et que les actions de la CNLP sont décriées par les artistes béninois.

Juridiquement, l’idée est d’inciter les Etats à mettre en place des entités parallèles aux organismes sus mentionnés, dotées d’une personnalité morale et ayant la compétence et le plein pouvoir pour recevoir des plaintes, faire des perquisitions, opérer des saisines et engager des poursuites à l’encontre des contrefacteurs et pirates.

Stratégiquement, les pays membres de l’UEMOA doivent mettre en place un réseau de coopération plus efficace à travers ces entités qui auront à leur tête, des coordonnateurs recrutés pour trois (03) ans sur la base d’un programme de lutte qu’ils fourniront.                      

 Hiérarchiquement, ces coordonnateurs seront nommés et relèveront directement des chefs d’Etat afin que ceux-ci soient fortement imprégnés de l’ampleur de la pratique et impliqués dans le processus. Un rapport d’activités annuel sera remis à la hiérarchie à toutes fins utiles. Au bout de trois (03) ans, une synthèse générale par pays sera établie sur la base des rapports annuels et cela donnera lieu à une rencontre des principaux décideurs.

Institutionnellement, une Conférence ministérielle triennale des pays de l’espace UEMOA pourrait être initiée à cet effet, impliquant les ministres de la culture, du commerce, de l’économie, de la sécurité, des transports et de la justice pour faire le point par pays et au sein de la communauté. Cela permettrait de mettre en synergie les actions de lutte et d’en uniformiser les stratégies.

Administrativement et pour plus d’efficacité, les structures créées dans chaque pays mettront en place des organes déconcentrés sous forme de brigades de lutte contre la piraterie dans l’espace géographique des différentes localités de ce pays. Cette lutte peut revêtir diverses formes : la saisine des produits contrefaits, la poursuite judiciaire à l’encontre des contrefacteurs, la sensibilisation des consommateurs sur les méfaits du piratage… Les membres ou agents de l’ensemble de ces structures proviendront des ministères sus cités avec un quota plus élevé pour les agents de sécurité.

 Financièrement, l’ensemble des départements impliqués de chaque pays devront contribuer au fonctionnement de ces entités à travers des modalités consensuelles. Il est évident que la lutte contre la piraterie a un coût énorme. L’important est d’assainir le marché afin d’éviter les pertes énormes de devises.

KONATE Mohanz Ben Djébal

Conseiller des Affaires culturelles


[1] Publié par CODESRIA, sous la direction de Saliou NDIOUR

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